Résumé :
Au XIV° siècle, pendant qu'il guerroyait
pour se maintenir sur le trône de Naples, le comte de Provence,
faisait réorganiser l'ancien château de Boniface, sur
le Roc de Castellane, le transformant en une puissante forteresse:
quatre enceintes enfermaient la plate-forme sommitale; un mur, percé
de meurtrières et qui, toujours sur le versant oriental de
la montagne, descend jusqu'au ravin de Setrure, abritait le roc sur
son flanc est; l'agglomération médiévale, derrière
un long rampart, le protégeait quant à elle sur son
flanc nord, auquel elle s'accroche... Or à l'extérieur
du mur couvrant le flanc est comme au milieu de l'ancienne agglomération
à l'intérieur du rempart, des boulets de pierre témoignent
encore à présent d'un siège en règle qu'a
subi la forteresse. Et un document daté de 1390, qui décrit
celle-ci, présente ce rempart comme "vieux et démoli".
Ces données nous amènent à nous poser quelques
questions. La première: des groupes de routiers auraient-ils
attaqués la plate-forme, en 1390 ou peu avant? C'est ce qu'assurent
en tout cas Laurental, le prieur-historien de Castellane et l'abbé
J.J.M. Féraud, l'historien des Basses-Alpes.... Deuxième
question: comment ces mercenaires, que l'on dit armés légèrement,
auraient-ils transporté, lors de leurs incursions, trébuchets
et bombardes, et leurs munitions?... Quoiqu'il en soit, Laurental
et Féraud, qui ne donnent aucune référence de
leur allégation selon laquelle Raymond de turenne aurait conduit
lui-même les assaillants, sont d'autant moins convaincants que
le vicomte semble se trouver en Rouergue et dans les Cevennes durant
les derniers mois de 1389, les huit premiers mois de 1390, et dans
le Comtat Venaissin à la fin de l'année.
Autre cause de perplexité: le clavaire de Castellane
déclare en 1397 l'incapacité de paiement de quatre communautés
du baillage: Saint-Julien, Taulanne, Ubraye et Castellane, et la destruction
de deux autres: la Bastide d'Esclapon et Castillon supérieur...
D'où une autre question: s'agit-il des méfaits déja
attribués à l'année 1390, ou sept ans après,
d'un retour des compagnies, controllées ou non par Turenne?
Ne trouvant aucune réponse dans les ouvrages
de Bouche, Papon, Laurenal et autres vénérables historiens
provençaux, nous nous sommes adressés à Régis
Veydarier qui, en 1994, devant un jury de professeurs des universités
de Montréal et de Québec, et de Noel Coulet, professeur
à l'Université de Provence, a soutenu une thèse
ayant pour sujet précisément: "Raymond de Turenne,
la deuxième maison d'Anjou et de Provence: étude d'une
rebellion nobiliaire à la fin du moyen âge".
Hélas, il n'y est pratiquement pas parlé des groupes
armés de passage ou stationnant dans notre région, à
plus forte raison de leur armement.
En revanche, Régis Veydarier propose une analyse
entièrement neuve du caractère de Raymond de Turenne
et du contexte politique dans lequel se déroulaient son action
politique et son action psychologique. Il se rapporte pour celà
à des sources abondantes et les plus sûres (la bibliographie
occupe une soixantaine de pages de son manuscrit), entre autres au
"Jounal " de Jean Le Fèvre, témoin
irremplaçable des intentions, hésitations et impulsions
de la reine Marie de Blois. Dans la première partie, que l'auteur
consacre à l'ascention rapide d'un modeste lignage limousin,
il met à nu l'impudence avec laquelle les cadets de la famille
ont su utiliser les attributions de la plus haute hiérarchie
ecclésiastique - deux papes, plusieurs cardinaux. Puis prenant
à contrepied l'historiographie influencée par la tradition
angevine, il présente la révolte du vicomte de Turenne,
non plus comme celle d'un "brigand", mais comme celle d'un
seigneur victime de la lente émergence d'une conscience citoyenne
chez les notables de la Provence urbaine, mais d'abord des machinations
spoliatrices des derniers papes d'Avignon et des comtes de la seconde
maison d'Anjou, sous l'oeil complice du roi de France. Il démontre
enfin, grace à une lecture attentive des mémoires du
vicomte de Turenne conservées aux Archives Nationales, le mécanisme
qui a permis à un genie organisationnel de mettre en coupe
réglée la Provence occidentale et la majeure partie
de la Provence centrale et alpine, et de détraquer, plusieurs
années durant, la structure fiscale d'un pays qui sortait à
peine d'une première guerre intestine consécutive à
la succession de la reine Jeanne.