Table ronde:Histoire

Photo © Errol

Jacques CRU

Spolié par le pape d'Avignon, RAYMOND DE TURENNE SE REVOLTE et ravage la Provence occidentale, centrale et alpine (1388-1401)

Résumé :

Au XIV° siècle, pendant qu'il guerroyait pour se maintenir sur le trône de Naples, le comte de Provence, faisait réorganiser l'ancien château de Boniface, sur le Roc de Castellane, le transformant en une puissante forteresse: quatre enceintes enfermaient la plate-forme sommitale; un mur, percé de meurtrières et qui, toujours sur le versant oriental de la montagne, descend jusqu'au ravin de Setrure, abritait le roc sur son flanc est; l'agglomération médiévale, derrière un long rampart, le protégeait quant à elle sur son flanc nord, auquel elle s'accroche... Or à l'extérieur du mur couvrant le flanc est comme au milieu de l'ancienne agglomération à l'intérieur du rempart, des boulets de pierre témoignent encore à présent d'un siège en règle qu'a subi la forteresse. Et un document daté de 1390, qui décrit celle-ci, présente ce rempart comme "vieux et démoli". Ces données nous amènent à nous poser quelques questions. La première: des groupes de routiers auraient-ils attaqués la plate-forme, en 1390 ou peu avant? C'est ce qu'assurent en tout cas Laurental, le prieur-historien de Castellane et l'abbé J.J.M. Féraud, l'historien des Basses-Alpes.... Deuxième question: comment ces mercenaires, que l'on dit armés légèrement, auraient-ils transporté, lors de leurs incursions, trébuchets et bombardes, et leurs munitions?... Quoiqu'il en soit, Laurental et Féraud, qui ne donnent aucune référence de leur allégation selon laquelle Raymond de turenne aurait conduit lui-même les assaillants, sont d'autant moins convaincants que le vicomte semble se trouver en Rouergue et dans les Cevennes durant les derniers mois de 1389, les huit premiers mois de 1390, et dans le Comtat Venaissin à la fin de l'année.

Autre cause de perplexité: le clavaire de Castellane déclare en 1397 l'incapacité de paiement de quatre communautés du baillage: Saint-Julien, Taulanne, Ubraye et Castellane, et la destruction de deux autres: la Bastide d'Esclapon et Castillon supérieur... D'où une autre question: s'agit-il des méfaits déja attribués à l'année 1390, ou sept ans après, d'un retour des compagnies, controllées ou non par Turenne?

Ne trouvant aucune réponse dans les ouvrages de Bouche, Papon, Laurenal et autres vénérables historiens provençaux, nous nous sommes adressés à Régis Veydarier qui, en 1994, devant un jury de professeurs des universités de Montréal et de Québec, et de Noel Coulet, professeur à l'Université de Provence, a soutenu une thèse ayant pour sujet précisément: "Raymond de Turenne, la deuxième maison d'Anjou et de Provence: étude d'une rebellion nobiliaire à la fin du moyen âge". Hélas, il n'y est pratiquement pas parlé des groupes armés de passage ou stationnant dans notre région, à plus forte raison de leur armement.

En revanche, Régis Veydarier propose une analyse entièrement neuve du caractère de Raymond de Turenne et du contexte politique dans lequel se déroulaient son action politique et son action psychologique. Il se rapporte pour celà à des sources abondantes et les plus sûres (la bibliographie occupe une soixantaine de pages de son manuscrit), entre autres au "Jounal " de Jean Le Fèvre, témoin irremplaçable des intentions, hésitations et impulsions de la reine Marie de Blois. Dans la première partie, que l'auteur consacre à l'ascention rapide d'un modeste lignage limousin, il met à nu l'impudence avec laquelle les cadets de la famille ont su utiliser les attributions de la plus haute hiérarchie ecclésiastique - deux papes, plusieurs cardinaux. Puis prenant à contrepied l'historiographie influencée par la tradition angevine, il présente la révolte du vicomte de Turenne, non plus comme celle d'un "brigand", mais comme celle d'un seigneur victime de la lente émergence d'une conscience citoyenne chez les notables de la Provence urbaine, mais d'abord des machinations spoliatrices des derniers papes d'Avignon et des comtes de la seconde maison d'Anjou, sous l'oeil complice du roi de France. Il démontre enfin, grace à une lecture attentive des mémoires du vicomte de Turenne conservées aux Archives Nationales, le mécanisme qui a permis à un genie organisationnel de mettre en coupe réglée la Provence occidentale et la majeure partie de la Provence centrale et alpine, et de détraquer, plusieurs années durant, la structure fiscale d'un pays qui sortait à peine d'une première guerre intestine consécutive à la succession de la reine Jeanne.

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